Le management infantilisant est de plus en plus remis en question. Évaluer les employés sur leurs résultats stimulerait la productivité

Et si l’évaluation du travail n’était plus liée au temps passé au bureau mais aux résultats obtenus? Cali Ressler et Jody Thompson, auteures du best-seller Why Work Sucks and How to Fix It, se sont penchées sur la question. Dans leur ouvrage, les deux femmes d’affaires américaines expliquent que le réflexe de base des dirigeants d’une organisation classique consiste à ne pas faire confiance à leurs salariés: «Nous nous rendons au travail et donnons le meilleur de nous-mêmes. En retour, notre employeur nous traite comme un enfant qui lui volera des bonbons s’il est laissé sans surveillance.»

Pour ne pas être floués, certains patrons mettent en place des dispositifs de contrôle des horaires tels que des pointeuses. Les plus méfiants installent des logiciels destinés à surveiller l’activité des employés sur leurs écrans de travail. Pour Cali Ressler et Jody Thompson, ce leadership à l’ancienne est non seulement obsolète et rétrograde mais nuit fortement à l’entreprise.

En effet, s’il fait croire à l’employeur qu’il «en a pour son argent», contrôler le temps de travail des salariés n’améliore pas leur productivité. Ce serait plutôt l’inverse. Pour se faire bien voir de leur hiérarchie, certains travaillent en état d’épuisement. Un «surprésentéisme» qui finit par coûter très cher puisqu’il conduit inévitablement à un «burn-in»: tout en étant physiquement présent à son travail, l’employé est mentalement absent.

En outre, de nombreuses heures passées au bureau ne sont pas un indicateur de performance puisque certains salariés masquent leur incompétence avec des horaires à rallonge. Enfin, selon certaines études menées par Microsoft et America Online, sur les 45 heures travaillées en moyenne par semaine, entre 16 et 18 heures seraient improductives. Bob Kustka, dirigeant et ­fondateur de Fusion Factor, une entreprise de conseil en management du temps et en amélioration de la productivité, a déclaré à cet égard que plus l’on travaille longtemps, moins l’on est efficace. «Les athlètes de haut niveau font beaucoup de pauses entre leurs efforts, explique-t-il. L’énergie au travail est comme l’énergie physique, mieux utilisée pendant des pointes de travail ardu, concentrée sur quelques tâches, et relâchée au cours de pauses régulières.»

La population du XIXe siècle souffrait de mélancolie, celle du XXe de neurasthénie. Notre siècle semble quant à lui souffrir d’absence mentale au travail et de son corollaire, l’épuisement généralisé (burn-out). Pour Cali Ressler et Jody Thompson, la solution à ces maux se trouve dans la méthode ROWE (acronyme de Results-Only Work Environment). Véritable révolution copernicienne, le ROWE rompt avec le modèle dominant du présentéisme et prône un management axé uniquement sur les résultats.

Exit donc le travail selon des horaires fixes, le présentéisme stratégique ou contemplatif, les congés maladie, les jours de vacances à poser à l’avance et les réunions chronophages. Dans un environnement ROWE, les employés décident où, quand et comment ils veulent travailler. Que ce soit au bureau, chez eux en pyjama ou à la plage, peu importe le lieu et l’habit du moment que le résultat est atteint.

La bonne nouvelle? Cette organisation du travail profiterait autant aux employeurs qu’à leurs collaborateurs. Car le turnover volontaire diminuerait de 90% et la productivité augmenterait de 41% dans les équipes bénéficiant du ROWE, qui ferait du bien au moral, à la santé et réduirait le stress des salariés.

Aux Etats-Unis, entre 10 et 15% des entreprises suivraient cette tendance. Jason Fried, cofondateur et dirigeant de l’entreprise américaine 37Signals, a déclaré qu’il n’avait aucune idée du nombre d’heures de travail que ses employés effectuaient. «Je sais juste qu’ils font le travail que j’attends d’eux, explique-t-il. Je hais les entreprises où l’on traite les employés comme des enfants. Au lieu d’avoir plus de productivité, vous générez plus de frustrations. Tant que le travail est fait, je me fiche de savoir ce qu’ils font de leur journée.» Une philosophie qui a conduit l’entrepreneur à figurer dans la prestigieuse liste du MIT des plus grands innovateurs au monde âgés de moins de 35 ans (TR35).

Pas sûr que cela suffise à alimenter les réflexions futures sur l’organisation du travail en Suisse. Nos entreprises ne voient pas encore d’un bon œil l’éclatement des cadres habituels de travail. La dernière révision de l’ordonnance 1, relative à la loi sur le travail, maintient le principe de l’obligation d’enregistrer la durée du travail pour la plupart des travailleurs. La tendance est donc plutôt au contrôle systématique des horaires. «Cette mesure part d’un bon sentiment puisqu’elle vise à protéger l’individu contre une exploitation éventuelle, rappelle le conseiller en gestion de carrière Daniel Porot. L’expérience montre qu’un employé à qui l’on accorde une grande liberté dans le choix de ses méthode de travail aura tendance, dans 70% des cas selon les experts, à fixer et atteindre des objectifs supérieurs à ceux que son employeur envisageait de lui prescrire. Les entreprises ont donc tout intérêt à «libérer» leurs salariés.»

L’exemple des SIG est particulièrement parlant. Un classement du magazine Bilan a salué la mise en œuvre du projet Equilibre, qui introduit notamment l’horaire à la confiance et le télétravail à hauteur de 40%. Toujours à Genève, l’entreprise Loyco (pour loyalty company) fait également office de pionnière en responsabilisant et autonomisant ses salariés qui ne connaissent aucune contrainte horaire.

Mais si ces initiatives représentent un progrès certain, elles ne sont que des demi-mesures «inacceptables», de l’avis de Jody Thompson et Cali Ressler. Pour les créatrices du ROWE, un salarié devrait être libre, tous les jours, de se lever, de consulter l’état de la circulation et de décider s’il sera plus productif chez lui ou au bureau.

Pour Pierre Moniz-Barreto, auteur du livre Slow Business, les entreprises réfractaires au ROWE devront à terme s’adapter. «Les générations Y et Z sont en train de tout bousculer en refusant les anciens modes de fonctionnement, explique-t-il. Contrairement à leurs aînés, elles ne vivent plus pour le travail. Leur priorité est l’épanouissement personnel, le fameux work-life balance. Pour continuer à attirer des talents, les employeurs n’auront d’autre choix que d’évoluer sur certaines questions comme la gestion du temps et des espaces», conclut-il.

Amanda Castillo

(Source : http://www.letemps.ch)