Prendre des risques pour réussirCertains héritages de notre passé, dont nous n’avons pas toujours conscience, influent sur notre manière d’agir en entreprise et peuvent nous desservir : une société hiérarchique et élitiste, un corporatisme très largement répandu, un rapport ambigu à la réussite et à l’argent, une focalisation sur les diplômes… Un extrait de mon livre sur la question.Dans le contexte actuel, les entreprises françaises ont particulièrement besoin d’avoir des équipes faisant preuve d’ingéniosité et innovantes, pour maintenir une longueur d’avance technologique sur la concurrence. Il paraît capital, de redonner aux Français le goût de l’aventure. Qui dit innovation, dit risque. Pour gérer le risque et parfois son revers, l’échec, conduire le changement et créer un climat de confiance et de solidarité, il faut que chacun trouve sa place dans la construction d’un futur porteur, que chacun se sente impliqué et concerné par la démarche et, last but not least, qu’émergent des leaders et des hommes visionnaires. Nous verrons ainsi que la qualité du management s’avère cruciale.

Avant d’explorer quelques pistes pour retrouver dynamisme et énergie, il paraît judicieux de faire un point rapide sur la situation que nous traversons au niveau de la société ; sur les héritages du passé qui nous freinent, les peurs qui nous paralysent, pour réfléchir ensuite aux leviers nous permettant de retrouver notre puissance créative.

Une société hiérarchique et élitiste – Nous avons hérité d’un certain nombre de manières de faire et de réagir qui nuisent à notre adaptation au monde actuel. « Notre économie est fonctionnarisée, regrette Jean-François Roverato, président d’Eiffage, Chacun défend son pré carré. Nous vivons dans une logique hiérarchique, et non dans une logique de progrès ». « Les Français ont la tête prise dans un système de mandarins, fermé et hiérarchique », enchérit Pierre Burelle, fondateur de Plastic Omnium. « Notre société est plus figée qu’aux USA », constate encore Benoit Genuini, ancien président d’Accenture France[1].Nous devons donc interroger notre histoire et notre éducation et voir ce que nous devons faire pour évoluer.
Notre culture est  issue d’une société ancienne, marquée par la féodalité, l’Ancien Régime et le catholicisme « où les corps intermédiaires sont multiples, les structures plus hiérarchisées et la pensée personnelle moins valorisée que dans les pays de tradition anglo-saxonne», observe Anna Stellinger[2]. L’influence prédominante du catholicisme en France a marqué les esprits et les consciences. Sa structure hiérarchisée se retrouve dans notre vie quotidienne ; Beaucoup d’organisations franco-françaises reproduisent ce schéma pyramidal. Cette religion a laissé son empreinte durable dans les agissements de chacun, même si sa pratique a fortement chuté. Dès l’école, les rapports s’inscrivent dans une relation dominant (celui qui sait, le maître) – dominé (celui qui apprend, l’élève). Les élèves et les étudiants ont encore, la plupart du temps, peu ou pas du tout d’échanges d’idées, de points de vue avec leurs professeurs qui en retour les responsabilisent peu. Ces points nous distinguent notamment des Américains ou des Européens du Nord plus marqués par le protestantisme où il n’existe pas d’intermédiaire entre Dieu et eux. Du coup, personne ne peut leur imposer quoi que ce soit. Chaque personne sait que son avenir dépend d’abord d’elle-même. Le pragmatisme domine.

Un corporatisme très largement répandu – Notre société fonctionne aussi beaucoup par « castes », celles des grandes écoles, des grands corps, des cheminots, des professeurs… Chaque « caste » a tendance à recruter en son sein et crée ainsi une forme de consanguinité, nuisible à la diversité et à la richesse des points de vue. En travaillant avec des personnes ayant un fonctionnement trop similaire, le risque est qu’elles aient du mal à appréhender la complexité du monde environnant. « Recruter des personnes ayant le même profil est une aberration  et un handicap car cela diminue la richesse qu’apporte la diversité des approches, considère un responsable de Schlumberger. Notre groupe préfère chercher les meilleurs talents dans les meilleures universités du monde entier. Nous comptons 50 nationalités parmi nos 200 dirigeants. Du coup, les points de vue sont nombreux, même si cela suppose de s’adapter en permanence à des cultures très différentes.

Un rapport ambigu à la réussite et à l’argent – « La réussite reste encore diabolisée », regrette Benoit Genuini, car dans l’esprit de nombre de Français, elle ne peut s’être faite qu’au détriment des intérêts d’autrui. Le succès éveille, de fait, la suspicion, De même, l’argent suscitent la méfiance, l’envie et la jalousie. Comme dans la Parabole du riche et du pauvre Lazare, l’égoïsme de certains riches est fustigé. Notre attitude est incompréhensible pour les asiatiques, et les Chinois en particulier, pour qui l’argent est une valeur essentielle et recherché jusqu’à l’excès. De même, chez les anglo-saxons ou dans les pays nordiques. Eux se réfèrent davantage à la « Parabole des talents », et voient dans l’argent le fruit de leur travail et le signe de leur mérite. « La réussite est bien vu chez nous, confirme la suédoise Anna Stellinger. Des success stories comme celle d’Ikéa ne sont pas rares en Suède où les protestants luthériens sont majoritaires.».

C’est déjà le cas dans certaines entreprises, notamment celles fondées ou dirigées par des protestants, comme la famille Riboud. L’un d’entre eux, Franck, à la tête de Danone, un groupe performant et innovant, n’a pas peur de dire qu’il est là pour faire des profits. De même, notre fleuron du luxe, Hermès, est une « entreprise familiale qui a de très fortes valeurs judéo-chrétiennes, protestantes, une culture non écrite, avec un fonctionnement consensuel », explique son DRH Augustin de Champeaux. « Les personnes sont très attachées à leur entreprise. Les notions de succès économique, de relation au travail sont traitées de manière très factuelle. Chez nous, il n’y a pas de honte à gagner de l’argent, à avoir du succès », ajoute-t-il. Le groupe est prospère. Il a su se développer et moderniser son image, notamment sous l’égide du créateur et directeur artistique du prêt-à-porter féminin Jean-Paul Gauthier (2003/2010) pour le prêt-à-porter féminin.

Une (trop ?) grande focalisation sur les diplômes – « Un haut niveau d’études dénote une capacité à franchir les étapes, un esprit de sacrifice, une capacité à se mobiliser sur les objectifs, un esprit de compétition », relève une DRH. Il ne fait pas tout ; nous sommes encore trop souvent focalisés sur certains modèles de réussite et en dédaignons d’autres. Par exemple, nous sommes admirons souvent davantage un élève brillant (par exemple, un jeune qui décroche son baccalauréat tôt, intègre dans la foulée une grande école, pour entrer ensuite dans une grande entreprise) qu’un chef d’entreprise, autodidacte et innovant, même s’il réussit très bien. En fait, plus que l’autonomie, l’esprit d’entreprise, la réussite ou l’argent, ce qui est noble et reconnu en France est le diplôme, le savoir, la culture et la connaissance. Le Français cherche à tirer une théorie générale de cas particuliers, là où l’anglo-saxon, pragmatique, se focalise sur la solution. Alors à l’instar de notre philosophe Michel de Montaigne qui préférait les têtes bien faites aux têtes bien pleines, nous pouvons réfléchir à la manière de promouvoir l’esprit pratique, le bon sens et l’efficacité au sein même de notre culture.

[1] Ex-président de l’Agence nouvelle des solidarités actives, ex- médiateur de Pôle emploi
[2] Chercheuse en sciences sociales, ancienne directrice des recherches économiques et sociales de la Fondation pour l’Innovation Politique (Fondapol)