Alexandra Milazzo Psychologue-Neuropsychologue Conférencière

Certains adultes vivent avec un « masque » servant à cacher des affects dépressifs. Lorsque ce masque en vient à « se coller à la peau » de la personne cela peut aboutir à une véritable dépression et à un épuisement. Je présente ici certains signes particuliers non exclusifs mais fréquemment observés chez une catégorie particulière d’adultes: les « surdoués » ou adultes à « Haut Potentiel Intellectuel » (HP).

Ces « surdoués »-là souffrent bien souvent d’une différence, d’une faiblesse narcissique contrastant avec une force intellectuelle remarquable, leur laissant un sentiment de décalage, de déséquilibre source de bien des maux. Au final il réside une quête de réponse et de remplissage de vide dont la relation à l’autre prend une place centrale. La fuite du vide amène pourtant inévitablement au vide. Lorsqu’il arrive par la force des choses (par un burn out, une maladie, une rupture, un choc émotionnel etc.), quand toutes les ressources de compensation jusque-là surmenées s’épuisent, il peut se transformer en véritable point de rupture.

Comment repérer ces signes pouvant être annonciateurs d’un mal-être qui mériterait une attention particulière? Une liste non exhaustive est présentée ci dessous. Ces signes peuvent être vécus plus ou moins sévèrement et être conjoints ou non mais peuvent en tout cas signaler une fragilité pouvant nécessiter la mise en place de solutions réduisant le risque d’épuisement et de mal-être croissant:

– Présence de plus en plus forte d’un sentiment de décalage avec les autres, avec augmentation des doutes sur une ou plusieurs sphères de la vie voire même sur son sentiment d’identité véritable

– Sensation de plus en plus prégnante que les pensées deviennent un poids, qu’elles peuvent devenir obsédantes, développant une envie d’avoir un bouton « off » pour cesser le vacarme des pensées qui perturbent aussi largement le sommeil, la mémoire, l’attention (cognitive mais aussi affective).

– Insatisfaction de plus en plus élevée envers ses créations, le travail accompli et au final envers soi même générant une pression plus accrue à faire toujours plus et toujours mieux ou au contraire à abandonner progressivement plus facilement ce qui est entamé par peur de l’échec,

– Hypersensibilité de plus en plus élevée pouvant rendre la gestion émotionnelle de plus en plus difficile. Cela peut aussi pousser à se persuader que l’hypersensibilité est un problème intrinsèque que l’on doit garder pour soi et qui ne vaut pas la peine d’être exprimé car de toute façon « on ne le comprendrait pas ». Cela peut même aller jusqu’à donner l’impression aux autres que l’on est fort, insensible ou seulement en colère pour cacher encore plus cette sensibilité exacerbée.

– Sensation de plus en plus inconfortable face à l’ennui, au vide, à la répétition, augmentant soit le besoin d’une sur-stimulation affective et intellectuelle pouvant aller jusqu’à adopter des conduites addictives soit au contraire pouvant mener au repli.

– Tendance de plus en plus prégnante à se couper de ses relations proches (amicales, familiales, sentimentales, professionnelles ou tout ça à la fois) ou au contraire à maintenir des relations lors desquelles la personne fait semblant d’être à l’aise et en bonne forme.

– La mise en place de plus en plus fréquente (qui peut en devenir quasi-automatique) de défenses face à l’autre: humour parfois excessif, parfois comportements opposants, provocants…

– Augmentation des douleurs, des pathologies, somatisations, fatigue, maux de tête etc.

Bien souvent, c’est quand ces signes deviennent de plus en plus insupportables que ces adultes viennent consulter. Il ne s’agit pourtant pas d’un état qui devrait être « normal » ou acceptable parce qu’on est « surdoué » ou « HP ». Il existe des moyens d’être en meilleure harmonie avec soi-même pour accepter sa différence reflétée par le miroir de l’autre et de la société.

Voici quelques solutions simples à mettre en place:

– La parole: elle permet de laisser sortir ce qui pourrait nous ronger et créer divers maux. Mettre des mots permet de comprendre, de faire des liens et d’arriver à des souvenirs, à des idées qui étaient jusque-là étouffés par ce masque. C’est aussi une étape essentielle dans le processus de motivation pour enclencher les comportements visant à un mieux-être pour soi avant tout,

– Recherche de soutien social, familial, amical et/ou professionnel: aller vers ceux qui vous veulent du bien est en lien avec la parole, avec le besoin d’avoir une oreille attentive, bienveillante et à ne pas vous sentir seul à traverser des difficultés

– La sophrologie et les techniques de pleine conscience: elles aident à se satisfaire d’instants simples, à se connecter à l’ici et maintenant, à stimuler notre attention, afin de diminuer la surfocalisation sur les pensées. Ces techniques aident également à contrôler notre respiration, à mieux gérer nos émotions, mieux les sentir, mieux les exprimer notamment en activant notre système nerveux parasympathique réduisant les effets du stress sur le corps. Cela permet aussi d’entrevoir en quoi nos gestes quotidiens peuvent être vécus comme une symphonie de sensations permettant de voir le merveilleux dans le banal et le répétitif. C’est une étape essentielle qui permet de mieux profiter des autres solutions présentées ci-dessous.

– Prendre des pauses dans la journée pour vous, pour respirer, pour marcher, pour vous faire du bien, pour oser vous écouter vraiment et écouter votre corps, en particulier en devenant de mieux en mieux capable de vous centrer sur le moment présent

– Passer du temps dans la nature: pour développer vos sens et booster vos taux de vitamine D. Ici encore, ces moments peuvent être vécus de manière encore plus intense en vous entraînant à être pleinement conscient sans jugement.

– Activité physique et sportive: rester dans l’action pour induire la production d’endorphines entre autres, augmenter la quantité d’oxygène dans tout le corps et simplement pour vous activer autrement que par la pensée

– Faire une check list des événements quotidiens qui vous font du bien et faire en sorte d’augmenter leur fréquence en semaine

– Faire une check list d’événements où vous avez été fiers et heureux et vous les remémorer comme partie intégrante de votre personnalité et couper la tendance habituelle à surfocaliser sur les souvenirs négatifs, d’échecs etc. Cela permet également d’augmenter le sentiment de confiance et de mieux relativiser les événements.

– Créer: que ce soit par le dessin, l’écrit, la peinture, dans le sport, en dansant, en chantant, en créant un morceau, en jouant, en racontant une histoire à un enfant, en développant une idée qui tient à cœur depuis longtemps, en improvisant un week-end, une journée, en faisant la cuisine etc. Le champ de la créativité dépasse toute limite et peut vous porter vers d’étonnants lieux dans le plaisir seul ou partagé.

– Jouer: avec vos enfants, avec vos proches, amis, membres de la famille. Un moment qui met en jeu tout le corps, toutes les ressources intellectuelles, émotionnelles et qui peut être source de plaisir, de rire et d’échanges pour faire le plein d’endorphines de manière ludique.

Ces moyens simples à condition de les réaliser vraiment avec motivation et bien sûr sans que cela ne devienne obsessionnel peuvent apporter un réel bénéfice. Dans les cas où cette démarche reste difficile ou quand le mal-être se fait de plus en plus prégnant, il ne faut pas hésiter à en parler aux professionnels capables de vous soutenir et de vous accompagner.

Pour terminer, il convient de rappeler que les sentiments de vide et de tristesse que le surdoué cherche si souvent à éviter peuvent être un moyen parfois indispensable pour permettre une floraison de l’être, un épanouissement et pour rebondir fort de l’expérience humaine avec ses joies, peines, douleurs et bonheurs. Une expérience permettant d’avancer vers un chemin choisi pour soi et non pas masqué pour s’adapter à ce qui peut plaire aux autres. De plus, comme disait le poète Miguel de Unamuno: « l’ennui fait le fond de la vie, c’est l’ennui qui a inventé les jeux, les distractions, les romans et l’amour ». Au fond, il s’agit bien d’apprendre à (s’)aimer et cela dépasse le cas spécifique des surdoués