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Comment reconnaître un pervers ? Réponse avec Geneviève Reichert-Pagnard,  psychiatre et  spécialiste de la  manipulation, auteur d’un roman, « Crimes impunis » (Prime Fluo Éditions) qu’elle a écrit pour permettre « de mieux comprendre pourquoi la victime s’enlise dans un mécanisme fatal sans même s’en rendre compte et jusqu’où cela peut l’entraîner ».Geneviève Reichert-Pagnart, psychiatre, est l’auteur d’un ouvrage grand public remarquable sur la manipulation : "Les relations toxiques" (Idéo), très pointu sur les effets du parent pervers sur l’enfant.

Le « simple caractériel » au sens populaire du terme, explose de temps à autre, mais le reste du temps il a un comportement normal et empathique. En revanche, les manipulateurs destructeurs abreuvent leurs victimes de propos dévalorisants, de reproches en tout genre, voire d’insultes. Ils se montrent constamment insatisfaits, égocentriques, refusent de se remettre en question et cherchent à isoler leurs victimes, ce qui est un comportement pathologique.

Nous sommes tous capable de manipulation et de dissimulation. C’est même nécessaire à la vie en société. A partir de quel moment cela devient-il pathologique ? 

– Il existe différentes façons de manipuler les autres, par exemple pour séduire, dans un but constructif. La manipulation destructrice, en revanche, vise à détruire systématiquement les autres, notamment en mettant à mal leurs points de repères, leurs convictions, morales, politiques ou religieuses, pour mieux les fragiliser et asseoir l’emprise. Cela relève d’un comportement pathologique. Les manipulateurs destructeurs sèment des « cadavres psychologiques » derrière eux, tout au long de leur vie. Ils peuvent pousser leurs victimes au suicide. Les plus dangereux peuvent même aller jusqu’au meurtre physique, y compris de toute une famille.
Vous récusez le terme de « pervers narcissique ». Or dans vos livres, sous le nom de « manipulateurs destructeurs », vous décrivez la même chose. En quoi la terminologie du psychanalyste Paul-Claude Racamier, descripteur-pionnier de ce mal,  serait inappropriée ?

– Les manipulateurs destructeurs ont effectivement les traits de personnalité pervers narcissiques : l’existence de l’autre est mise au service de la sienne et il se valorise à ses dépens. Mais cela va plus loin car ils présentent également des traits de personnalité paranoïaques, tels que la tyrannie, l’absence de doute et d’autocritique et la jalousie maladive.

Les manipulateurs destructeurs se situent à un carrefour de pathologies appartenant toutes aux psychoses : ils voient le monde à leur façon, fonctionnent dans une logique qui leur est propre et imposent leur système de pensée à leur entourage. Leur apparence extérieure est sauve, car leurs troubles psychotiques sont bien cachés aux regards extérieurs : ils semblent bien insérés socialement.

On appelle ces psychoses des « psychoses blanches » ou « psychoses sans symptômes ». C’est ainsi qu’ils peuvent échapper à l’attention de la machine judiciaire et obtenir la résidence des enfants qu’ils vont continuer à détruire pendant des années. Les magistrats n’ont, la plupart du temps, aucunement conscience qu’ils ont à faire à des psychotiques, au même titre que peut l’être un schizophrène pour lequel pourtant, ils prennent des mesures appropriées pour la garde des enfants.

La prédation morale est-t-elle vraiment en recrudescence ? Hugo ne parle pas d’autre chose quand il décrit dans « Les Misérables » la difformité morale et « l’âme écrevisse » des Thénardier. Est-ce que ce mal, qu’on commence à bien identifier, certes, n’a pas toujours existé ?

– La manipulation destructrice est probablement née avec l’Homme et on retrouve déjà à l’Âge de pierre des exemples de comportements relevant de ce processus : le besoin de pouvoir et de richesses, l’utilisation des autres qu’on monte et clive les uns contre les autres sous des prétextes divers pour mieux assouvir de funestes desseins. Mais il semble que l’environnement social se détériore depuis le XXe siècle, avec un certain laxisme dans l’éducation des enfants contribuant à faire d’eux des « enfants-rois », ce processus tendrait à se développer, avec toute la violence qui l’accompagne, notamment en milieu scolaire.

Comment se protéger face à un pervers ou une perverse ?  

– La meilleure protection face à ces personnages toxiques est la fuite. Mais à plus long terme, la prévention s’impose. Seule une connaissance élargie du mode de fonctionnement pervers permettra d’aider les enfants qui sont victimes d’un parent de ce type, d’éviter qu’ils ne deviennent eux-mêmes de tels prédateurs ou de futures victimes de manipulateurs destructeurs.

Seule cette connaissance peut aider les hommes et les femmes actuellement aux prises avec ce genre de personnages dans le cadre conjugal à les identifier et à s’en préserver. Face à ce genre d’individus, en attendant la séparation, il faut impérativement constituer son dossier de procédure. La victime devra alors éviter toute discussion houleuse. Qu’elle ne laisse pas prise aux critiques, qu’elle se montre neutre. Mais cette attitude de composition ne peut durer qu’un temps assez court et ne préserve pas nécessairement du risque d’un éclat de violence.

Les pervers narcissiques sévissent partout : au travail, en famille, en couple. (Catherine Meurisse/Le nouvel Observateur)
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